Chroniques

par laurent bergnach

les doigts de Thomas Adès
œuvres d’Adès, Antheil, Ligeti et Nancarrow

Présences / Radio France, Paris
- 25 février 2007
le compositeur, pianiste et chef d'orchestre britannique Thomas Adès
© redux

Étudiant à la Guidhall School of Music de Londres, puis au King’s College de Cambridge, le jeune Thomas Adès semble d’abord destiné à une carrière pianistique. Il se perfectionne avec Paul Berkowitz et remporte en 1989 le second prix du BBC Young Musician of the Year. Cependant, peu envieux de radoter le même programme de salle en salle – et succombant peut-être à son côté « ermite infiniment gentil et sociable qui disparaît à la moindre occasion », dixit Simon Rattle –, le musicien de dix-huit ans décide de s’occuper sérieusement de composition.

Il n’abandonne pas pour autant la piano, le clavecin ou l’orgue, comme en témoignent l'enregistrement de ses propres œuvres ou le bonus de l'opéra Powder her face en DVD [lire notre critique DVD], et il accompagne régulièrement Ian Bostridge ou le violoniste Anthony Marwood. Sur la scène plongée dans la pénombre, le compositeur livre ce soir l’intégralité de son corpus pour l’instrument.

Unique de ses pièces reposant explicitement sur l’héritage musical, Darknesse Visible se fonde sur In Darknesse let mee dwell (1610) pour voix et luth de John Dowland, d’une grande intensité expressive. Les citations sont brèves et utilisées ponctuellement ; comme l’exprime sa biographe Hélène Cao, « la mélodie de Dowland est absorbée et rendue presque méconnaissable. Plus la citation est évidente et ses dimensions importantes, plus elle se prête à un travail de déconstruction, puis de reconstruction qui distord le modèle » (in Thomas Adès le voyageur, Éditions MF, 2007). Introspectif et nostalgique, cette page laisse place à Still Sorrowing, d’une durée sensiblement égale et conçu la même année (1992). Plus rythmé, se présentant comme une succession de refrains, cet Opus 7 s’emploie à modifier la sonorité du piano en le (dé)préparant : en effet, avec l’aide du tourneur de pages et à part deux notes qui resteront altérées, les cordes centrales sont peu à peu débarrassées de la gomme adhésive qui les recouvraient. Enfin, morceau le plus récent (1996), en trois parties, Traced Overhead s’avère virtuose, léché, mais peu passionnant.

D’une facétie bienvenue, Canon B (2/3) for Ursula, composé par Conlon Nancarrow en 1992, annonce l’esprit de la seconde partie, ouverte par le crépitant Poème symphonique pour cent métronomes (version digitale en 5.1). La pièce de György Ligeti est suivie par Étude n°18 « canon », puis par le duo Drei Stücke « Monument–Selbstportrait–Bewegung » pour lequel Dimitri Vassilakis est rejoint par Franz Michel. Même si les climats développés diffèrent de ceux créés par Adès, on mesure tout ce qu’un pianiste professionnel apporte de brillance, de nuance et de couleur à une partition. Cependant, pour excellent qu’il soit, le musicien peut être remplacé par la machine pour des raisons d’efficacité rythmique, comme pour cette Étude 14A « coloana fara sfärsit » pour clavier sans interprète.

On reste dans une énergie débridée avec Ballet mécanique (1926) de George Antheil qu’on est toujours heureux de retrouver [lire notre chronique du 9 octobre 2004], d’autant qu’il accompagne ici la projection du film d’origine, signé Fernand Léger. Tandis que René Bosc dirige les percussionnistes de l’Orchestre National de France, les images se télescopent sur l’écran : détails d’un visage féminin avec ceux d’un monde industriel (voitures, pistons), figures géométriques immédiatement lisibles avec des déformations optiques (reflets dans une sphère métallique, kaléidoscope), alignement de casseroles, de bouteilles ou de chiffres avec un Charlot en papier qui danse à qui mieux mieux...

LB